Source de l article LE MAGAZINE 200 N°2 automne 2014 , 74 rue pierre brossolette 59700 Marcq en baroeul , le cycliste et journaliste Alain PUISEUX
Quand on a, comme à 200, un petit vélo dans la tête, on trouve un point commun entre le Strida et le 11 septembre: on sait exactement où on était le jour où on a vu ça. Dans mon cas, mon premier Strida, c’était devant la gare de Nantes — les gares sont de bons endroits pour croiser ces drôles de bêtes — un matin où j’attendais ma correspondance. On est là, on prend l’air, on sirote une eau gazeuse ou un jus d’orange, on tue le temps. Et on voit un voyageur descendre de son train avec un paquet sous le bras. Le film se déroule alors beaucoup trop vite pour nos sens relâchés. Sans qu’il paraisse ralentir le moins du monde sa démarche pressée de jeune cadre en route vers son bureau, l’homme déplie, à la façon d’un Gérard Majax à la dextérité ressuscitée, une sorte d’escabeau à grosses roulettes, monte sur une selle accrochée à l’un des montants et s’engage sans une hésitation dans le flot de la circulation nantaise. On se frotte les paupières, interloqué, et on sait déjà qu’on va partir très vite à la recherche de l’engin sur Internet. C’était donc un Strida et la tentation était grande d’en faire le successeur du Vélib pour un raid de 200 kilomètres (voir le numéro 1 de 200).
Un tour chez Madame de Maintenon
C’est en allant chercher ce A à roulettes chez son distributeur exclusif pour la France, rue du château, à Paris XIVe que l’idée du parcours a fait son chemin.
Bien que pliant et d’une géométrie pour le moins originale, le Strida reste une bicyclette, une « petite reine » qui mérite bien de faire un détour par les deux plus grands châteaux de France, à l’instar d’une randonnée réputée, organisée par le CC Versailles-Porchefontaine et courue le 20 septembre dernier. Notre parcours ira cependant chercher bien plus à l’ouest parce que, sentimentaux comme on l’est à 200, nous tenions à traverser Maintenon pour honorer celle qui devint, à 48 ans, la secrète épouse de Louis XIV après avoir été la gouvernante de ses enfants illégitimes. Un destin…
Encore faut-il, pour saluer Madame, faire connaissance avec l’Evo 3, un rejeton bien élevé, poli et serviable de la famille Strida. Le premier contact est facile. Pas besoin d’enfourcher, pas besoin de se lancer dans un grand écart qui n’a plus de grand que l’âge de son auteur.?On se retrouve facilement assis sur la selle et dans une position beaucoup plus urbaine, droite et verticale, que sportive.
Passé un rapide apprentissage des postures et des gestes selon différentes méthodes (le but est de choisir celle qui convient le mieux à votre niveau de psychomotricité), pliage et dépliage s’enchaînent de plus en plus vite (*) au magasin. Le petit se laisse faire et surtout ne donne pas l’impression de fatiguer. On ne l’a évidemment pas plié un millier de fois mais on parierait bien que ces attaches, ces roulements, ces clapets rouilleront moins vite que nos articulations. Enfin, cette version s’enrichit de trois vitesses qui promettent de vous faciliter le travail selon les reliefs. Cela explique aussi la différence de tarif entre cet Evo3 (1350€) et le mono vitesse d’entrée de gamme (650 €).
Les présentations étant faites, il s’agit désormais de passer à l’action. Un court instant, il nous prend l’envie d’embarquer discrètement le paquet-cadeau puis d’aller l’essayer un peu plus loin, dans un coin discret, une cour d’immeuble ou une ruelle déserte, à l’abri des regards. Parce que tout bien pesé, on ne sait pas trop ce que ça va donner, et mince, on est l’envoyé spécial de 200 km: ça l’afficherait mal de se retrouver par terre au premier tournant.
Du pilotage… comme à moto
On n’a pas totalement tort : pour un peu, on chercherait à consulter le mode d’emploi tant les sensations et le comportement de l’engin diffèrent de ceux d’un vélo conventionnel. Au-delà des questions d’aérodynamique, il s’agit à la fois de piloter et de pédaler autrement.
Avec son guidon haut et resserré, son entraxe réduit, le Strida agit comme les rumeurs : il répète, amplifie et déforme le moindre de vos changements de direction. Cette hyper réactivité vous fera abandonner dans un premier temps ces petits et brusques changements de directions pour éviter une plaque d’égout ou une déformation de la chaussée. Avec résignation, vous laisserez le bitume martyriser vos fesses…
À l’usage, on découvre que l’installation d’un panier et de son chargement sur l’avant du vélo apporte beaucoup de stabilité. Et ça tombe bien parce qu’il est finalement assez fréquent de devoir transporter une mallette, une sacoche ou un ordinateur lors de déplacements essentiellement urbains. En outre, un guidon plus large peut atténuer cet effet perturbant de prime abord.
Du coup, la perspective des descentes à travers la vallée de Chevreuse, premier tronçon du parcours en quittant Versailles, a pris une autre allure, à la limite du vertigineux pour un cycliste également peu habitué aux freins à disques — leur efficacité est cependant rassurante. Stéphane Régnier, Monsieur Strida France (et plusieurs de ses pays frontaliers), résume clairement la différence: « En descente, il faut presque le piloter comme une moto. Être très léger sur le guidon, se pencher, accompagner le mouvement. »
Accompagnons, accompagnons. De toute façon, après l’énergie dépensée dans la montée, on adoptera facilement cette philosophie. Car le Strida a beau être monté au sommet du Ventoux ou avoir établi un record de montée de l’Alpe d’Huez à 53 minutes (contre 36’40’’ pour Marco Pantani),
Son poids (13 kg) ne constitue pas le plus gros handicap. Mais la posture, très droite, condamne à ne pédaler qu’assis et uniquement avec les jambes: pas de passage en danseuse (même si Stéphane Régnier affirme qu’un guidon plus large le permet) ; pas ou peu de déhanchements possibles ; tirer sur le guidon produit plus d’effets négatifs que d’améliorations. Vos cuisses sont donc condamnées à faire le boulot toutes seules et là encore, s’entraîner sur un vélo classique ne procure sans doute aucun avantage.
Le dérailleur est dans le rétropédalage
Enfin, il faut réapprendre le passage des vitesses puis qu’ici n’apparaît aucune manette, ni au guidon, ni sur le tube diagonal. C’est par rétropédalage qu’on joue du dérailleur, un claquement venant indiquer le changement de développement. On repère ensuite la vitesse sur laquelle on pédale par un cliquetis plus ou moins prononcé. L’ensemble paraît mieux étagé et plus efficace que sur le Vélib, lui aussi équipé de trois vitesses, mais qui rend presque dix kilos au Strida.
On se surprendra d’ailleurs, au fil de la journée, à utiliser celui-ci comme une voiture: partir en première (la « petite » vitesse), accélérer puis passer le « rapport » suivant, rétrograder dans les côtes pour pouvoir conserver un certain rythme de pédalage.
Sorti du jeu de montagnes russes de la vallée de Chevreuse, l’Evo 3 va ainsi trouver, à travers les longues plaines de la Beauce, un terrain bien plus adapté à ses qualités. Madame de Maintenon nous autorisera une pause-déjeuner devant les grilles de son château. La géométrie si particulière de cet engin nous vaudra la curiosité générale, aux terrasses des cafés comme au bord des champs. Et la courroie en kevlar, façon Harley-Davidson (la moto), nous emmènera, sur nos roues de 18 pouces, à raison de 25 km par heure sans nous épuiser jusqu’à notre destination, le château de Chambord.
Soit une petite journée de vélo pour faire le lien entre Louis XIV et François Ier. On n’aura pas perdu notre temps.